Qu'est-ce que la variance?

Article de Jean-Francois Mercure (Kidam) basé sur la lecture du livre "Le jeu: chance ou stratégie?"
Suite à ma lecture de l'ouvrage Le jeu: chance ou stratégie ?, j'aimerais traiter d'un sujet plus ou moins bien compris des joueurs de poker en général: la variance. Plusieurs joueurs se servent de l'excuse de la "variance" pour justifier leurs résultats peu reluisants sur le court ou moyen terme. Mais est-ce toujours la faute de la variance?

Suite à ma lecture de l'ouvrage Le jeu: chance ou stratégie ?, j'aimerais traiter d'un sujet plus ou moins bien compris des joueurs de poker en général: la variance. Plusieurs joueurs se servent de l'excuse de la "variance" pour justifier leurs résultats peu reluisants sur le court ou moyen terme. Mais est-ce toujours la faute de la variance? La réponse peut être parfois difficile à donner. Pour réellement parler de variance, vous devez dans un court, moyen ou long laps de temps, perdre de l'argent alors que vous avez plus d'aptitudes que les joueurs contre qui vous jouez. Vous devez aussi bien évidemment jouer à un jeu d'adresse contre d'autres joueurs avec profit potentiel (catégorie de jeu qui s'oppose aux jeux contre la maison, sans adresse nécessaire ni profit potentiel et les jeux de quasi-adresse contre la maison sans profit potentiel). Vous devez aussi pouvoir quantifier votre espérance de gains face à ces joueurs afin de mieux pouvoir évaluer la variance. Vous devez de plus avoir la certitude que vous avez toujours joué votre meilleur poker possible et que vous n'avez fait que très peu d'erreurs.

Mais, qu'est-ce que précisément la variance? En des termes précis, la variance permet de caractériser la dispersion des valeurs par rapport à la moyenne. La variance se constate dans plusieurs disciplines, mais c'est précisément de celle présente dans le monde du poker que j'aimerais traiter dans cet article.

L'exemple du dé

Pour débuter, j'aimerais donner un exemple très simple (voir enfantin) de ce qu'est la variance pour ceux et celles qui ne seraient pas familiers du tout avec celle-ci.

Prenons un dé à 6 faces. Vous le lancez; quelles sont les probabilités d'obtenir le chiffre 1? Le chiffre 6? Une sur six évidemment (ou 16,6%). Autrement dit, si vous lancez un dé 60 fois, vous devriez "en théorie" obtenir dix fois le chiffre 1, dix fois le chiffre 2, dix fois le chiffre 3, etc. Mais n'importe quel esprit logique comprendra qu'en réalité, il en sera très rarement ainsi. Le chiffre 1 pourrait se présenter 25 fois sur les 60 lancées. Ce n'est pas quelque chose d'impossible. C'est quelque chose de peu probable, mais pas impossible. Autrement dit, 15 fois de plus que ce qu'il est mathématiquement censé se produire. C'est cet écart que l'on nomme "variance". La variance sera plus petite plus les répétitions seront grandes (si par exemple on lance un dé 500 millions de fois, on peut s'attendre à ce que le chiffre 1 soit tiré près d'une fois sur 6 avec une faible variance). S'il était possible de lancer un dé à l'infini, il serait correct d'affirmer théoriquement que le chiffre 1 serait tiré exactement et précisément 1 fois sur 6. Il est important de noter que la variance n'est pas un synonyme de hasard. Le hasard décide à un moment précis quel chiffre sera lancé de même que la fréquence à long terme de la redondance
. La variance comme nous l'avons dit est l'écart par rapport à la moyenne.

La variance au poker


La variance au poker quant à elle est moins claire et moins simple à comprendre, et ce, pour plusieurs raisons. Le poker est un jeu d'habiletés aux profits potentiels avec une part de hasard (contrairement au tir du dé qui ne relève que du hasard). Le hasard au Texas Hold'em est présent dans plusieurs aspects du jeu. Par exemple, à chaque main, chaque joueur reçoit 2 cartes fermées. Ces deux cartes sont distribuées au hasard. Le joueur n'a aucun contrôle sur le choix de ces cartes; il reçoit les deux cartes que le croupier lui aura remis au hasard. Les décisions lui reviendront après avoir reçu les cartes. Il pourra par exemple décider de jouer ou non cette main. La manière qu'il aura de jouer sa main s'il la joue sera aussi laisser à sa discrétion.

Il recevra une paire d'as, par exemple, 1 fois sur 221 (en moyenne bien sûr). Évidemment, sur 221 mains, il pourra recevoir 3 fois ou plus une paire d'as s'il est "chanceux" et aucune fois s'il est "malchanceux". Peu importe la suite de la main (ce qui arrivera préflop, postflop, etc), un joueur peut "runner bad" (grande variance défavorable) ou "runner good" (grande variance favorable) dans le simple fait de recevoir plus ou moins 1 fois sur 221 une paire d'as. Le fait qu'il gagne ou perde chaque fois avec cette main ne sera pas pris en compte. Il peut aussi recevoir plusieurs mauvaises mains de départ, mais améliorer sa main dans des proportions démesurées (par exemple, les flops pourront être souvent favorables pour ce joueur).

L'impact dynamique du hasard


Selon l'auteur de l'ouvrage, Claude Boutin, au Texas Hold'em, le hasard agit selon un "impact dynamique". Il explique:

Lorsque l'écart d'adresse entre les joueurs est grand, l'impact du hasard sur les résultats perd de son importance. Au contraire, lorsqu'il y a équivalence d'adresse entre les joueurs, l'impact du hasard augmente. Il faut toujours plusieurs mains de poker pour bien évaluer l'effet du hasard.

En d'autres termes, plus l'écart d'aptitudes entre les joueurs est grand, moins la variance sera grande et plus l'écart d'aptitudes sera faible, plus la variance sera grande. Le fait d'être capable d'identifier le niveau de compétence de ses adversaires est important au poker et cette incapacité augmentera nécessairement la variance d'un joueur. Si vous êtes toujours entourés de joueurs meilleurs que vous, vous aurez l'impression d'être une pauvre victime de la variance et de runner plus bad que n'importe qui.

Variance et taux horaire


La variance au poker peut se comprendre en taux horaire. Un joueur gagnant qui gagnerait quelque chose comme 50$/l'heure en moyenne, peut au cours d'une session de 4 heures par exemple, avoir gagné 100$ la première heure, perdu 50$ l'heure suivante, gagné 200$ l'heure d'après et avoir perdu 50$ dans la 4e heure. Ce n'est qu'une des possibilités envisageables. Il pourrait très bien avoir gagné 100$ chaque heure ou perdu 100$ chaque heure. L'écart entre son taux horaire réel (son taux horaire basé sur des milliers d'heures de jeu) et son taux horaire sur le court terme, est-ce qui est nommée variance. Claude Boutin à ce sujet:

"La variance est un indicateur de la dispersion des bons et des mauvais résultats d'un joueur par rapport à la moyenne de ses résultats par heure de jeu. C'est une mesure mathématique du niveau de risque d'un joueur. Elle dépend d'une foule de facteurs qui échappent parfois au contrôle du joueur, notamment son style de jeu, le caractère dynamique de l'impact du hasard, le type de jeu en cause, les mises possibles (avec ou sans limites), etc".

Un joueur peut perdre de l'argent au poker pour plusieurs raisons:

- Parce qu'il possède moins d'aptitudes que les joueurs de sa table
- Parce qu'il ne joue pas sa A game
- Parce qu'il est malchanceux sur le court terme (run bad)

 


 

L'un peut annuler l'autre. Autrement dit, si vous êtes le meilleur joueur de la table, mais que vous êtes malchanceux cette soirée-là, vous pourriez bien ne pas faire d'argent ou pire, perdre de l'argent. On présume tout de même que tous les joueurs de poker ayant joué le même nombre de mains au cours de leur vie, auront autant de bonnes que de mauvaises passes et ce sera celui qui aura tiré le meilleur de ses bonnes passes et réussi à éviter les dégâts lors des mauvaises passes qui gagnera le plus d'argent en bout de ligne.

La chance ou la malchance apparaît sous plusieurs formes. Vous pouvez obtenir une paire d'as plus qu'une fois sur 221 (chance), mais perdre 5 fois de suite avec cette main (malchance). Vous pouvez obtenir plusieurs fois une paire de rois (chance) et vous retrouvez chaque fois contre une paire d'as (malchance). Vous pouvez aussi être très chanceux dans 10 petits pots au cours d'une soirée et très malchanceux 1 fois seulement, mais dans un immense pot. Malgré votre forte récurrence de chance, vous pourrez tout de même terminer votre soirée dans le rouge.

EV et
Sklansky bucks

Vous pouvez calculer (cet outil n'a rien de scientifique ni de très précis) grosso modo la variance avec votre tracker Hold'em Manager. Ce tracker fonctionne avec le principe des Sklansky bucks. Pour mieux comprendre ce principe, un exemple s'impose.

Vous êtes heads-up contre votre adversaire.
Vous avez une paire d'as préflop et votre adversaire vous 4bet. Vous poussez all in et il call avec KK. Vous avez alors investi 100$ (vous êtes 100BB deep au NL100) alors que vous étiez 83% favori. Votre adversaire flop un carré et vous perdez la main. Vous perdez 100$ et gagnez 83 Sklansky bucks. Votre EV sera donc à 83$ et vos gains réels seront à -100$, un écart de 183$. En regardant votre EV vs vos gains réels, vous constatez un écart. C'est cet écart que l'on nomme la variance. En regardant votre Hold'em Manager, vous pourrez toujours suivre vos gains réels versus votre EV. L'EV est un indicateur de "run good" ou de "run bad".

L'important ici n'est pas le résultat (perte 100$), mais le fait que vous ayez investi 100$ avec 83% des chances de gagner la main. Vous avez bien joué même si vous avez perdu.

 

L'EV présente plusieurs problèmes. N'en voici qu'un. Si vous êtes cinq fois heads-up avec KK et que chaque fois vous rencontrez une paire d'as, votre EV sera probablement neutre, autrement dit, vous aurez gagné 1 pot et vous en aurez perdu 4 (la loi de la moyenne). Par contre, le fait de rencontrer chaque fois AA avec KK est en soit très malchanceux et l'EV n'en tiendra pas compte. La seule chose qui intéresse l'EV est que vous êtes allé all in chaque fois avec 17% d'équité. Vous respecterez votre EV (vous n'êtes ni chanceux, ni malchanceux), mais vous aurez quand même la malchance de tomber sur une paire d'as plus souvent qu'à votre tour.

Évidemment, le fait de runner good ou non ne se calcul pas simplement en observant les all in gagnés ou non; c'est beaucoup plus complexe et cet article ne prétend pas faire le tour de la question, loin de là.

Un principe similaire peut être observé dans les machines à sous. Un joueur sait que sur le long terme, il perdra environ 5 à 6% de tout l'argent qu'il investira dans la machine (en d'autres termes, la machine a un edge de 5 ou 6% sur le joueur). Ses attentes sur le long terme sont de -6%. Mais il n'est pas impossible qu'une soirée il gagne 500$ en ayant investi 15$. La variance dans les machines à sous est plus simple à comprendre étant donné que le joueur n'aura aucune décision à prendre.

En conclusion

Il n'est pas toujours chose aisée de déterminer pourquoi une session s'est mal terminée. Avez-vous été victime de la variance? Avez-vous mal joué? Étiez-vous entourés de requins à votre table? Je crois qu'il est important après chaque session de se poser des questions sur celle-ci et de trouver les causes réelles de ses échecs et de ne pas toujours blâmer la variance. Mieux la comprendre permet certainement de mieux l'identifier lorsqu'elle frappe et de s'améliorer en tant que joueur de poker. Un regard objectif est nécessaire si l'on veut progresser.