Le vieil homme à la boucle d'oreille

Par Daniel Negreanu
Lors de mes années de formation, la vaste majorité des professionnels du poker était très jeune. Comme je l’ai déjà dit dans un autre article, nous sommes tous devenus de bons amis. Il y avait aussi de vieux hommes d’affaires qui prenaient une journée de congé de temps à autre pour venir jouer au poker et d’autres qui s’assoyaient pendant leurs pauses du midi. Il y avait aussi un joueur que l’on nommait simplement « le vieil homme à la boucle d’oreille ».
Par Daniel Negreanu

Daniel NegreanuLors de mes années de formation, la vaste majorité des professionnels du poker était très jeune. Comme je l’ai déjà dit dans un autre article, nous sommes tous devenus de bons amis. Il y avait aussi de vieux hommes d’affaires qui prenaient une journée de congé de temps à autre pour venir jouer au poker et d’autres qui s’assoyaient pendant leurs pauses du midi. Il y avait aussi un joueur que l’on nommait simplement « le vieil homme à la boucle d’oreille ».

Son vrai nom était Evan Weiner et il était un régulier parmi nous. Il n’avait pas « besoin » d’argent, mais il jouait pour gagner, rien de moins. Evan était tout un personnage, étant très intelligent et rempli d’esprit. Par contre, il n’avait pas beaucoup de patience avec ceux qui commettaient des erreurs ou qui ne comprenaient pas rapidement. Je pense qu’il avait un problème avec les gens stupides, ou je ne sais trop quoi.

De toute façon, lorsqu’il a commencé à jouer pour la première fois à un casino de charité à Toronto, il a eu d’excellents résultats. À cette époque, il était commun de voir 10 ou 11 personnes au flop. Ce n’était pas des parties difficiles à battre même si vous n’y connaissiez rien du tout au hold’em. Un peu plus tard, à Toronto, vous deviez faire vos cours sans quoi vous finiriez cassé. Vous deviez apprendre un peu pour survivre. Ce qui rendit évidemment les parties plus difficiles. Simplement « jouer ses bonnes cartes » ne fonctionnait plus à présent, spécialement au Fundtime (la place où je jouais).

Après un bout, il était clair qu’Evan était rendu dépassé par les joueurs de l’époque. Il ratait trop de mises et il devenait trop prévisible pour les nouveaux joueurs. Il devrait apprendre à jouer de manière plus agressive et plus solide et se trouver un autre endroit où jouer. Les failles de son jeu étaient tellement grandes qu’il ne pouvait pas continuer à jouer sans perdre continuellement. Mais Evan ne s’est pas dégonflé et il n’allait pas laisser ces jeunes punks le malmener bien longtemps.

Tous les jeunes pros avaient une relation unique avec Evan. Nous ne le voyions pas seulement comme le « vieil homme à la boucle d’oreille » ; nous le respections et le considérions comme un bon ami. Il se joignait souvent à nous sur l’heure du lunch ou quelques autres fois pour voir les autres jouer.

Maintenant, Evan sait qu’il n’est pas le meilleur joueur de poker du monde ou même ne s’en réclame. C’était une de ses caractéristiques. Il ne se choquait pas de la critique et il écoutait. Cela lui permettait d’accumuler un nombre intéressant de connaissances et tactiques qui feraient de lui un meilleur joueur. Peu de temps après, Evan devenait un joueur gagnant. Comme je l’ai dit, il n’avait pas besoin de cet argent, mais il n’allait pas tolérer d’être un loser, pas du tout!

Nous ne donnions pas exactement des leçons à Evan, c’était seulement qu’il était observateur. Il nous observait jouer attentivement et tentait de comprendre qui dans une main avait le mieux joué et pourquoi tel ou tel jeu avait fonctionné. Occasionnellement, il nous demandait s’il avait bien joué une de ses mains et nous n’avions aucun problème avec le fait d’en discuter. Je sais, je sais, n’éduquez pas les autres joueurs, mais nous aimions avoir Evan à nos parties. Il était un gars le fun, drôle et plus important encore, il était notre ami.

Pour être honnête, je n’ai jamais été menacé par Evan. En fait, le voir s’améliorer en tant que joueur ne m’obsédait pas du tout. J’étais heureux de le voir progresser figurez vous. Le voir s’améliorer en tant que joueur me faisait réaliser une chose importante à propos du poker – une chose à laquelle je devais être informé si je voulais devenir un joueur de poker avec beaucoup de succès: ne laissez jamais votre ego interférer avec vos apprentissages du poker. Acceptez le fait que vous avez beaucoup à apprendre sur le poker et que vous ne maîtriserez jamais parfaitement le jeu. À toutes les étapes de votre carrière de joueur de poker, vous apprendrez continuellement. Ceux qui arrêtent d’apprendre seront loin derrière. Evan a réalisé ceci et ça lui a rapporté beaucoup. Au lieu de nommer les jeunes joueurs « chanceux » quand ils gagnaient une main, il a tenté de comprendre pourquoi ils jouaient mieux que lui, ce qu’ils faisaient de différent. Parce qu’il est plus facile de blâmer les « jeunes chanceux » que de travailler sur soi. Vous n’avez pas idée le nombre de fois où j’entends: « Quand j’avais ton âge mon jeune, moi aussi je jouais comme ça. Quand tu auras mon âge, tu ne joueras plus ainsi ». Blah, blah, blah. How moronic is that?

Assumez vos résultats. S’ils ne sont pas bons comme vous le voudriez, faites quelque chose pour remédier à la situation. Prenez-vous un mentor, lisez des livres, étudiez les meilleurs joueurs – faites quelque chose! Apprenez une leçon de Evan et laissez votre ego à la porte. Vous serez surpris de tout ce que vous pourrez apprendre si vous acceptez la critique, que ce soit d’un ami ou autre personne qui pourra vous aider. Quelquefois, il peut être bon qu’un ami vous aide à peaufiner quelques aspects de votre jeu quand celui-ci ne va pas trop bien. Lorsque les choses vont mal pour vous, c’est peut-être parce que vous avez développé des mauvaises habitudes auxquelles vous ne portez pas attention, mais qui sont évidentes pour vos adversaires. Heureusement, vos amis pourront détecter ces mauvaises habitudes et vous aider quand ça va mal. Plusieurs de mes amis l’ont fait et je les remercie tous.