La réciprocité de l’information

Par Tommy Angelo
Je joue au poker sur la base d’un besoin de savoir. J’ai besoin de savoir ce à quoi mes adversaires pensent. J’ai besoin de savoir ce qu’ils ressentent. Et j’ai besoin de savoir les cartes qu’ils jouent.
 

 

« Mon secret est que je garde les secrets. »

Je joue au poker sur la base d’un besoin de savoir. J’ai besoin de savoir ce à quoi mes adversaires pensent. J’ai besoin de savoir ce qu’ils ressentent. Et j’ai besoin de savoir les cartes qu’ils jouent. Cependant, j’ai besoin qu’ils en sachent le moins possible sur moi. J’appelle cette relation : la guerre de l’information.

La guerre de l’information se dispute sur deux fronts : l’envoi et la réception. Pour la remporter, il faut envoyer moins d’informations que votre adversaire ne vous envoie, tout en recevant plus d’informations qu’il n’en reçoit. En contrôlant ces différences, vous contrôlez la circulation de l’information. C’est ce qu’il faut creuser pour trouver de l’or de réciprocité.

Sur Internet, la guerre de l’information se mène sur un vaste territoire fait de logiciels de statistiques, de timing tells, de clavardages, de forum, etc. Le poker hors ligne se joue à une table, c’est pourquoi je l’appelle le « poker de table ». Le poker de table est toujours accompagné d’images, de sons, d’odeur et de paroles. C’est une orgie d’échanges d’informations. La suite de cette section porte sur l’échange d’informations au poker de table.
 

Les muscles

Pensez au corps humain comme à un moyen de communication qui utilise les muscles pour diffuser l’information. Il n’est pas toujours évident de déterminer ce qui est responsable de contrôler les muscles. Parfois, nous le sommes, parfois ce sont les muscles eux-mêmes qui le sont. Le plus de contrôle nous avons sur nos muscles, le plus de contrôle nous pouvons avoir sur la réciprocité de l’information.

Le visage

Les êtres humains ont deux fois plus de muscles faciaux que n’importe quel autre animal. L’explication favorite est que par le passé, la musculature faciale facilitait la communication silencieuse. Les meilleurs communicateurs avaient de meilleures chances de survie. Il s’agit donc du gros lot de la génétique. À chaque fois que mère Nature avait le choix entre deux gènes, celui qui favorisait la musculature faciale était automatiquement sélectionné.

Maintenant, des générations et des mutations plus tard, nous sommes aux prises de 40 muscles faciaux, connectés les uns aux autres afin d’envoyer des signaux subtils, et nous ne pouvons les débrancher. La seule chose que nous puissions faire est d’essayer de les convaincre de rester tranquilles lorsque nous en avons besoin, pour l’amour de l’équipe! Pendant une main de poker, le cerveau peut se dire « merde! ». Alors, dès le moment où le visage s’apprête à dire la même chose, le cerveau doit murmurer d’urgence au visage : « Attends! Chut! Ne bouge pas un muscle! »

Lorsque cela arrive, nous avons une poker face. La poker face est une réaction instinctive aux situations dans lesquelles le cerveau dit au corps d’arrêter de lancer des messages. L’or de la réciprocité va à celui qui est le meilleur pour agir d’instinct, par exprès.

Les mains

Pour que le jeu soit joué, les jetons et les cartes doivent bouger. Pour ce faire, ce sont les êtres humains qui doivent les bouger. Là où il y a du mouvement, il y a de l’information. Un petit tremblement de la main peut parfois révéler quelque chose. Ou encore, ce pourrait être la façon de manipuler les jetons, de distribuer les cartes, de se coucher. Parfois, il ne s’agit de presque rien, mais il y a toujours quelque chose.

Toutefois, le mouvement de main qui dévoile de loin le plus d’information est celui qui montre les cartes que l’adversaire ne voulait pas montrer.

La bouche

Nous avons ici une collection de muscles qui envoient de l’information en n’utilisant pas seulement des expressions, mais aussi des sons. Et pas seulement n’importe quels sons. Des mots. Des phrases. De l’information de haut niveau. Voici une bonne nouvelle pour le chercheur d’or de réciprocité : il n’y a aucune règle qui oblige les muscles de la bouche à bouger durant une partie de poker. Vous avez le droit de rester silencieux.

Mes professeurs

Je ne peux affirmer que le silence est universellement plus profitable que le bruit. Je ne peux non plus affirmer que l’immobilité remporte toujours sur le mouvement. Je ne peux affirmer que moins vous en faites, plus vous remporter. Mais je peux vous raconter une histoire.

J’avais l’habitude de mélanger mes jetons jusqu’à en ressentir de la douleur dans les mains. Mes jambes tremblaient tellement que mes chaussures laissaient des traces prévisibles, telle une voiture mal alignée. Des mois, des années durant, je me suis installé dans un seul casino et j’ai tellement parlé à la table que j’en suis devenu le comité d’accueil, le capitaine de table et la serveuse interprète à la fois. Même avec tout ce mouvement, avec toutes ces paroles, j’étais encore capable de payer mon loyer et mon épicerie grâce à mes gains de poker. J’étais toujours à des lieues de mes adversaires dans la guerre de l’information, en raison de ce que je ne disais pas et de ce que je ne faisais pas.

Je ne montrais pas mes mains. Je ne parlais pas des mains. Je dissimulais mes euphories et mes déceptions. Je divulguais toutes les informations possibles, sauf celles qui concernaient le poker. J’ai appris cette façon de jouer parce que chaque fois que j’allais à Las Vegas, je me heurtais à deux types de joueurs : ceux qui m’effrayaient et ceux qui ne m’effrayaient pas. Naturellement, je portais plus d’attention à ceux qui m’effrayaient. La chose évidente qu’ils avaient tous en commun était leur sinistre façon d’avoir l’air de s’en foutre. Cela m’effrayait au plus haut point. Alors, je les ai copiés et j’ai appris leurs habiletés. Plus je faisais comme eux, plus je prenais conscience que ce que j’apprenais de mes professeurs était comment jouer ce que j’appelle la sixth street.

La sixth street

La sixth street commence lorsque les mises se terminent. La sixth street débute lorsque les joueurs se détendent, ce qui est payant de ne pas faire. Réciprocité.

La sixth street se produit lorsque les statues deviennent fontaines. Lorsque vient le moment de jouer le tournant et la rivière, les joueurs sont impassibles, ils donnent le meilleur d’eux-mêmes pour envoyer le moins d’informations possible. Puis, dès que les mises se terminent, ils commencent à bouger, diffusant de l’information par rapport à leurs pensées, leurs sentiments et leurs cartes. La sixth street débute lorsque les joueurs baissent leurs gardes, comme s’il était maintenant sûr de révéler des secrets d’État à l’ennemi. C’est comme s’ils n’étaient pas au courant que la guerre de l’information sévissait toujours.
Dans le courant de l’information, la sixth street est un endroit fiable pour chercher de l’or.

Le « mum poker »

De plus grosses bombes et des bunkers plus épais sont le résultat d’une course aux armements militaires. Une course aux armements zoologiques aboutit à des proies exceptionnellement bien camouflées et à des prédateurs qui peuvent les repérer quand même. La guerre de l’information au poker a une course aux armements. Quelqu’un qui la pousse à l’extrême, ce que j’ai fait, devrait en venir à jouer selon un style de poker que je nomme le « mum poker », ce que je fais.
De l’extérieur, le mum poker, est la traditionnelle poker face, étendue à l’ensemble du corps, et maintenant jusqu’à la sixth street. De l’intérieur, le mum poker est l’absence de plaintes, de blâmes et de regret. Le mum poker, c’est l’impassibilité. Le mum poker, c’est être fin prêt. Si vous désirez le pratiquer, vous devez imaginez le mum poker comment étant le zéro absolu, la suspension du mouvement. On peut accéder à la connaissance en théorie, mais c'est une approche presque inatteingnable.

Ou vous pouvez tout simplement l’imaginer comme étant le fait de s’asseoir et de se taire.

Aujourd’hui, lorsque je joue simplement pour le profit, je joue à la façon mum poker. Je porte une casquette de baseball sans lunettes fumées et sans inscriptions. Je n’entre jamais en contact visuel. Je ne parle jamais, si ce n’est que pour répondre à quelqu’un qui m’a adressé à parole. Dans ce cas, je ne réagis pas à la question et ne fais aucun commentaire concernant le poker. Ainsi, quand je suis concentré sur le jeu, j’envoie moins d’informations. Lorsque j’emploi le mum poker, je me bats pour trouver de l’or de réciprocité sur les deux fronts de la bataille de l’information, simultanément.