La réciprocité du tilt

Par Tommy Angelo
“Pour gagner au poker, vous devez être un très bon perdant.”—moi

Durant les premières années de ma carrière de joueur de poker, je jouais principalement dans des parties maison, là où les joueurs étaient particulièrement losses et agressifs. Tout ce que j’avais à faire pour gagner était de jouer serré, ce que j’ai rapidement appris à faire. Le problème, c’est que j’ai aussi appris à tilter.

J’étais un grand tilteur. Je connaissais toutes les méthodes. Je pouvais faire du tilt fumant, du tilt bouillonnant, du tilt trop loose, du tilt trop serré, du tilt trop agressif, du tilt trop passif, du tilt trop long, du tilt trop fatigué, du tilt à juste titre, du tilt ennuyé, du tilt injuste, du tilt de frustration, du tilt bâclé, du tilt de revanche, du tilt non fondé, du tilt honteux, du tilt de diversion, du tilt de peur, du tilt d’envie, du tilt de c’est-la-pire-pizza-que-je-n’ai-jamais-mangée, du tilt de je-viens-juste-de-montrer-mon-bluff, sans compter, bien sûr, les classiques : le tilt du il-faut-que-je-revienne-au-point-de-départ, le tilt du j’ai-beaucoup-trop-de-temps-pour-perdre-cet-argent, aussi connu sous le nom du tilt de démolition.

Je tiltais, et quand je revoyais mon tiltage, je commençais à y voir des cycles, puis des cycles dans les cycles. Peu de temps après, j’envisageais le futur de ma carrière de poker comme étant une variation incessante entre le jeu serré et le tilt. Je me suis rendu compte que si je me ruinais en jouant au poker, ce ne serait pas parce que mon meilleur n’était pas assez bon pour me maintenir à la surface. Ce serait parce que mon moins bon était assez mauvais pour me couler.

Un jour important de ma carrière fut celui où je compris que je serais toujours un tilteur. Qu’il n’y aurait pas de rémission rapide. Que tout progrès serait graduel. Je me suis rendu compte que si je pouvais, d’une manière ou d’une autre, allonger progressivement les périodes entre mes tilts, et que si, d’une manière ou d’une autre, je pouvais faire en sorte que mes tilts soient de moins en moins pires, j’aurais une chance d’avoir le vent dans les voiles, puis je monterais en flèche indéfiniment. Moins souvent, moins grave. Moins souvent, moins grave. C’est ce que je me répétais sans cesse.

Cela fait maintenant quinze ans et trente-mille heures de poker. Depuis ce temps, j’ai retrouvé mes esprits.

Sur le tilt

Le tilt peut prendre plusieurs formes et être causé par plusieurs choses, mais il n’a qu’un effet. Il nous fait faire de mauvais jeux. Il nous fait faire des choses que nous ne ferions pas si nous étions vraiment à notre meilleur. Voici maintenant comment je le définis exactement : le tilt est tout écart de votre meilleur jeu (A-game) et votre meilleur état d’esprit (A-mindset), aussi mince et aussi passager qu’il soit.  

Il y a deux raisons qui justifient cette définition du tilt. La première est la normalisation. Tous les meilleurs jeux (A-game) sont identiques. Celui qui joue son meilleur jeu (A-game) prend les meilleures décisions selon ses connaissances, et son état d’esprit est le plus juste qui soit. C’est l’essence du meilleur jeu (A-game). C’est le meilleur de soi-même. Et nous en avons tous un. Ainsi, en définissant le tilt comme le fond du baril, nous pouvons tracer une ligne pour chaque joueur, qui délimite clairement son tilt de son non-tilt.

L’autre raison est que nous ne sommes pas qu’en train de jouer avec les mots ici. Nous les utilisons pour creuser afin de trouver de l’or. En utilisant le mot tilt pour focaliser sur le meilleur de nous-mêmes, au lieu du pire, nous découvrons un filon : le tilt est le non meilleur jeu (non A-game). Le tilt n’est rien de moins que votre maximum. Le tilt est votre niveau supérieur. En définissant le tilt de cette façon, tout le monde tilt. Il s’agit simplement d’une question de fréquence, de durée et d’intensité.

Voilà donc les trois dimensions du tilt : la fréquence, la durée et l’intensité. Déviez-vous souvent de votre meilleur jeu (A-game)? Combien de temps cela dure-t-il en moyenne? Et de quelle distance vous éloignez vous de votre meilleur jeu (A-game)? Pensez-y bien.

Le tilt ne dépend que de vous. Si vous pensez que vous auriez dû abandonner plus tôt, ou si vous pensez que vous auriez dû jouer différemment, ou si vous pensez que vous avez pris une mauvaise décision, vous tiltez. Il n’y a seulement que vous qui savez que vous auriez pu faire mieux.

Le tilt de réciprocité est le fait de voir votre adversaire s'éloigner de sa A-game. Le tilt de réciprocité reconnaît que toutes réductions, aussi petites qu’elles soient, dans la fréquence, la durée et l’intensité de vos propres tilts auront toujours un effet favorable dans l’élargissement du fossé entre vos tilts et les leurs. Ce qui vous rapportera immédiatement un avantage de réciprocité. Pour faire du profit avec le tilt, vous n’avez pas besoin de cesser de tilter. Vous avez seulement besoin de moins tilter.