Prendre ou ne pas prendre le pile-ou-face

Analyse de situation de pile-ou-face en début de tournoi.

matt-matrosC’est le premier jour d’un tournoi de Hold’Em sans limite, avec un prix d’entrée « dans les cinq chiffres ». Vous avez eu une bonne nuit de sommeil. Vous vous sentez alerte.

Analyse de situation de pile-ou-face en début de tournoi.

C’est le premier jour d’un tournoi de Hold’Em sans limite, avec un prix d’entrée « dans les cinq chiffres ». Vous avez eu une bonne nuit de sommeil. Vous vous sentez alerte.

Vous avez été capable de naviguer entre les curieux et les médias, et avez finalement trouvé votre siège. Au même moment, le directeur du tournoi annonce le début du tournoi avec son fameux « Shuffle up and deal! ». Vous êtes le big blind et mettez vos deux jetons verts devant vous. Tout le monde se couche jusqu’au small blind, qui pousse ses 10 000$. Vous n’avez même pas sorti votre protecteur de carte de votre poche, mais vous vous doutez fort bien que vous n’en n’aurez pas besoin pour cette main à moins d’avoir les as. Mais il y a un problème. Le joueur sur le petit blind n’a pas de protecteur de carte non plus et, regardant à nouveau ses cartes, il expose accidentellement sa main. Il a Ac_diamond.gif Kc_diamond.gif . Vous regardez votre main et y trouvez deux dames. Vous vous connaissez en probabilité, et vous avez que vous êtes favori à 53.8% si vous appelez sa mise. Mais devriez-vous?

Ceci est une question hypothétique classique, et crée de nombreux remous chaque fois qu’elle est discutée. Je crois qu’il y a une bonne réponse pour cette question; une réponse qui ne dépend pas du niveau d’aptitude du joueur ou de son objectif dans le tournoi. Et j’espère qu’à la lecture de cet article, je vous aurai convaincu.
Premièrement, voici les arguments que l’on entend qui plaident pour le fait de coucher ses deux dames :

  1. Si vous êtes un bon joueur, vous voulez utiliser vos aptitudes afin de trouver une meilleure situation pour y mettre vos jetons.
  2. Vous ne voulez pas risquer votre tournoi entier sur une seule main, surtout dans une situation de pile-ou-face.
  3. Vous ne jouez pas d’aussi gros tournoi si souvent, donc vous désirez y acquérir un peu d’expérience en y jouant plus longtemps qu’une seule main.

Si jamais vous n’aviez pas deviné, je crois fortement que ces arguments sont trompeurs. Voici une petite expérimentation rapide : supposons que vous jouez dans un tournoi avec 1024 personnes. Comment gagnez-vous ce tournoi? En y mettant tous vos jetons, bien sûr! Cela signifie que si vous calculez vos chances de doubler 10 fois, vous allez calculer vos chances de gagner l’évènement. Maintenant, disons que vous avez 53.8% de chance de doubler à chaque fois que vous y mettez tout votre tapis. Cela signifie que vos chances de gagner le tournoi sont de .538 à la puissance 10, ou d’environ 0.203%. Un joueur moyen aura 1 1024, ou environ 0.098% de chance de gagner. Donc, en mettant constamment vos jetons dans une course à laquelle vous êtes favori à 53.8%, vous allez avoir deux fois plus de chance de gagner le tournoi qu’un joueur moyen. Mais il y a mieux!

Disons que vous décidiez de coucher vos dames, croyant que vous avez plus de 53.8% de chance de doubler dans ce tournoi. Si vous refusez de prendre ce pile-ou-face, vous resterez avec tapis initial, espérant doubler plus tard dans le tournoi. Si vous acceptez de prendre cette course et gagnez, vous doublez immédiatement.

Vous devez estimer l’espérance mathématique (EV) de votre tapis de 20 000$ à ce point dans le tournoi, soustrayant le moment hypothétique qui vous permettra de doubler après que vous ayez refusé ce pile-ou-face. Disons raisonnablement (de façon conservatrice, en fait) que lorsque vous doublez dès maintenant, votre tapis va valoir environ 22 000$ au moment hypothétique où vous vous trouverez une meilleure situation que ce pile-ou-face.
C’est le moment de faire un peu de mathématique. Si prendre ce pile-ou-face vous donne 53.8% de chance d’avoir un tapis de 22 000$ plus tard dans le tournoi, jusqu’à quel point devez-vous être favori pour doubler plus tard dans le tournoi ? Vous pouvez répondre à cette question en faisant ce petit calcul simple d’algèbre : x(20 000) = (.538)(22 000).

Faites le calcul, et vous trouverez que x = .5918, ou 59.18%. Donc, croyez-vous être assez bon pour pouvoir constamment avoir ce 59.18% de chance de doubler? Si vous répondez oui, et bien… vous avez tord! Revenez à notre petite expérimentation de base. Si vous avez 59.18% de chance de doubler, vous allez gagner cinq fois plus souvent dans un tournoi à 1024 joueurs que le joueur moyen. Croyez-moi, vous n’êtes pas si bon! Je ne suis pas si bon non plus. Et en fait, je ne crois pas que c’est possible d’être si bon.

Regardons ça d’un autre angle : disons que vous êtes un excellent joueur. Vous gagnez un tournoi de hold’em sans limite deux fois plus souvent qu’un joueur moyen – ce qui est impressionnant. Vous gagnez ainsi un tournoi de 1024 joueurs une fois sur 512. Maintenant, faisons le calcul à l’envers et trouvons nos chances de doubler. Il suffit de résoudre l’équation 1 512 = (chance de doubler) à la puissance 10.

Ainsi, un tel joueur aura .536, ou 53.6%, de doubler (notez que ce chiffre est plus petit que les chances que vos deux reines puissent battre le A-K assorti.)

Utilisant la même équation que si haut, on en vient à voir ça prend à un tel joueur un avantage plus grand que 48.63%. Oui, vous avez bien vu. Je viens tout juste de dire qu’un très bon joueur devrait en réalité prendre des risques qui ont une espérance mathématique légèrement négative tôt dans le tournoi car, s’il gagne la main, il pourra utiliser ses aptitudes avec son nouveau tapis. Et cela est plus important – beaucoup plus important en fait – que d’attendre pour une occasion légèrement meilleure. Vous avez surement vu plusieurs joueurs gagnants utiliser l’approche « amassons des jetons ou perdons-les tous! » en début de tournoi. Cette affirmation en est en partie la raison.

Certains disent que d’appeler la mise avec les dames reviendrait à dire qu’un bon joueur laisserait ses aptitudes de côté. Mais c’est oublié l’essence même du poker : les aptitudes, c’est de trouver des situations avantageuses. Et ces situations sont précieuses. Pensez-y un peu : la majorité du temps, nous couchons notre main avant même le flop. C’est très dur de trouver une façon d’y mettre nos jetons de façon profitable. Pourtant, ici, nous avons un avantage connu. Nous savons qu’à long terme, nous allons amasser 810$ en appelant la mise avec QQ. Ce n’est pas qu’un petit avantage. Se coucher ici reviendrait à dire que l’on jette une heure de jeu au vidange. Appeler la mise ne dénie pas nos aptitudes par rapport aux joueurs dans le tournoi; appeler la mise EST notre aptitude par rapport aux autres.
Vous ne voulez pas risquer votre tournoi tout entier sur une seule main? Alors, vous ne devriez pas être dans le tournoi. La seule question que vous devriez vous poser est « est-ce que cela me fera accumuler des jetons à long terme si j’appelle la mise? ». Et même si vous jouez dans ce tournoi « pour l’expérience », l’expérience d’une table finale ne serait-elle pas plus importante que de jouer une seule journée et d’être ensuite éliminé près de la bulle?

Si vous ne croyez pas à tout ce charabia mathématique, je vous suggère de prendre en note vos propres expérimentations. Pour chaque tournoi que vous jouez, écrivez chaque fois que vous doublez votre tapis avant d’être éliminé par rapport à chaque fois que vous perdez tout votre tapis avant de doubler. Je l’ai fait pendant un certain temps, et j’ai doublé 67 fois en 127 tournois, ce qui représente 52.8% du temps. Je crois que c’est assez bon! Si, après 1000 tournois, vous voyez que vous réussissez à doubler plus de 60% du temps, félicitation : vous êtes peut-être assez bon pour coucher profitablement les dames dans notre situation hypothétique. Entre temps, gardez en tête que vous devez mettre vos jetons dans le centre lorsque vous avez un avantage. C’est comme ça que se gagnent les tournois!

Des questions ou des commentaires sur cet article? Cliquez ici.